Anthiou, l’héroïne de Séguima
Victime de l’amour…
Si on avait dit à Anthiou NADO que sa vie serait un virage abrupt de 180°, elle en aurait ri, j’en suis sûre. Elle n’avait commis qu’une seule erreur : celle d’avoir aimé.
Une bastonnade infligée par Yuusu, son mari, deux, dix, n fois, et c’en était trop ! Elle n’en pouvait plus. Mais Témédi devait comprendre, plus grande, ce qui avait été son parcours. Oui, les enfants aiment juger leurs parents parfois, n’est-ce pas ? Témédi, saura… Il fallait qu’elle sache.
Anthiou, c’est le journal intime de la personne qui porte le même prénom – Anthiou – qui a allumé la muse de Peh de Geo. Bien sensible, cette muse : lire un document appartenant à la reine du grand dépotoir de Boowal, il fallait le faire. Et heureusement d’ailleurs…
Anthiou c’est une preuve des vicissitudes liées au rejet et la maltraitance familiale. Une tragédie qui, peut-être ne serait pas arrivée, si Anthiou avait connu l’amour et la compréhension des siens : Yuusu, ses parents, sa belle-famille, l’amour de sa vie… Bunka. « Tu sais, ma fille, il n’y a pas plus grand bonheur que de se trouver, « haleine pour haleine », avec la personne que l’on aime même si on ne se dit mot. Mais il n’y a pas plus atroce supplice que de devoir vivre comme narine et fesse avec qui l’on n’aime pas. » P.15. Oui, elle a aimé, mais victime de l’amour, elle a toujours été. Est-ce parce qu’elle était par essence une forte tête ou parce qu’elle avait connu les joies de l’entrejambe avant le mariage ? Toujours est-il que d’amour, elle en avait besoin. Et par amour, elle est partie, elle a abandonné son foyer ; Témédi allait comprendre grâce à cette longue lettre presque journalière qu’elle lui servait.
Ce besoin d’amour va revenir à la surface chaque fois qu’une personne lui témoignera une affection simple – Anthiou a horreur des gestes qui lui font se sentir comme une femme-objet. Vous voulez son cœur, allez-y à sa conquête et affrontez avec elle ses peurs et ses joies.
Dans sa quête du bonheur, elle rencontre Naamusoo, une vieille femme qui cache bien son jeu et qui mène une sombre activité avec son robuste de fils, Mbay, le désormais grand frère et protecteur d’Anthiou. A Malodugu, elle vit en harmonie avec cette famille ; Bulgëm n’existe plus. Finies la bastonnade, la médisance, la peur. Anthiou se sent bien. C’était sans compter sur son amour débordant et sur son besoin d’amour… Aimait-elle réellement son grand frère Mbay ? On ne saurait réellement le dire, elle-même, ne le sait pas. Et malheureusement, ce soir là où elle était juste sortie avec lui pour s’amuser, son destin a pris un autre tournant : deux aimants qui s’attirent, une Anthiou saoule et horrifiée, un aimant agacé, et la voilà en prison sans jugement. Cet amour, Anthiou, il t’aura tout fait voir !
Anthiou aimait, oui, mais plus d’une cinquantaine de jours, c’en était trop pour son amour dans cette geôle mal famée comme la majorité des geôles en Afrique. A cause de qui était-elle d’ailleurs là ? A cause d’une personne qui jugeait Dieu de lui avoir donné cet entrejambe-là ? Qu’avait-elle fait de mal si ce n’est vouloir arracher son robuste de grand frère, Mbay, des mains de cet indécis physique ? Il fallait qu’elle sorte de là. Elle n’aimait pas cet endroit. Justice devait être rendue. A Seguima, la justice était faite pour certaines personnes et au détriment de la majorité. Une justice juste pour ceux qui la trituraient à leur manière. « Tu te rends compte ! Il y a des prisonnières qui sont là depuis des années et qui attendent d’être jugées. Ce n’est pas juste. Si la justice devient elle-même injuste, que faire ? La combattre ? L’interpeller ? La traîner devant le tribunal divin ? » P.75. Que faisait-elle là sans avoir été jugée ? Que lui reprochait-on ? Prostitution et… Non, Témédi ne devait pas penser un seul instant que sa mère fût du genre.
De reine de justice à reine des immondices
« Le bonheur de l’homme engendre celui de la femme. Si la femme veut être indépendante, pourquoi cherche-t-elle ou accepte-t-elle qu’on la donne en mariage, à un homme ? On n’a jamais donné un homme en mariage à une femme. » P.67. Malgré les sévices de son premier mari, Yuusu, Anthiou est restée femme à chouchouter son homme. Arrière d’elle le féminisme et tout ce qui s’y rapproche. Son bonheur, elle le ressentait si son homme était heureux. Et Ansoumane, le juge qui la fera sortir de prison, l’était… Il l’était tellement qu’il l’a épousée, en secondes noces, malgré son premier acte sous régime monogamique.
Il la traitait comme une reine, il était son roi. Alors les unions entre un homme et une femme pouvaient aussi être faites de quiétude, de rires, de rêves ? Le savait-on à Bulgëm ? Pourquoi d’ailleurs maltraiter l’être qu’on a déclaré devant Dieu et devant les hommes aimer et chérir jusqu’à la fin des temps ? Les féministes extrémistes ont-elles raison de mener leurs combats ?
Ansoumane était le prototype du jeune panafricain : fort dans ses idées, prêt à défendre haut et fort les intérêts des Séguimalais, prêt à sacrifier son bonheur pour la majorité… Oui, les Africains devraient lire ce livre. Un bel exemple d’ailleurs pour Anthiou qui, après le virage malheureux que va connaître son mariage, va devenir l’héroïne des couches dites minoritaires à travers des ONG et auprès d’autres femmes très engagées; un combat décrié par les jadis détenteurs du pouvoir ; un espoir pour ceux qui ne se sentaient plus êtres humains.
Que s’est-il passé ce soir-là où Anthiou n’a plus jamais écrit ? Témédi, nous aussi, nous nous posons cette question. Mais, Témédi, ta mère, Anthiou, est libre. Oui, elle est libre.
Mon expérience de lecture
Lire les 231 pages de « Anthiou » fait partie de ces expériences qu’on n’oublie pas de sitôt. On a souvent tendance a pensé que les choses vont mal seulement chez soi ou pour soi… Voici une lecture qui remet en question. Non pas qu’il ne faut pas se plaindre, mais il faut cultiver, et c’est très important cette résilience dont Anthiou a fait preuve dans tout son récit.
L’auteur sénégalais, Peh de Geo, met en lumière, et avec une subtilité incroyable, des vices et des fléaux qui minent la majorité des pays africains : l’absence de justice, l’homosexualité, les violences conjugales, l’insalubrité de nos rues[CM1] , la non reconnaissance des héros et héroïnes – Oui, Anthiou ne mérite pas ce trône qu’elle occupe encore, peut-être, aujourd’hui, les relations parents-enfants et la protection de la famille, la consommation et la vente des stupéfiants, et au-delà de tout, l’amour dans toutes ses formes.
Le pouvoir de la femme est mis en exergue dans ce texte. On se demanderait même pourquoi on dit que la femme est le sexe faible… ce texte nous montre clairement que : c’est la femme qui rend l’homme heureux ; c’est la femme qui par son soutien donne une belle harmonie dans l’existence de l’homme ; c’est la femme qui fait bouger à un pic supérieur les lignes à Séguima ; c’est la femme qui, par sa méchanceté, met à feu et à sang un mariage (à l’exemple des belles-sœurs d’Anthiou : « Les deux sœurs de ton père avaient certainement allumé le feu qu’elles n’arrêtaient pas d’activer. » P.16), c’est la femme qui est en partie la cause de la manipulation de la justice à Séguima, etc.
Entre quelques coquilles et un peu perdue entre « Dieuvenu, Dieudonné et Dieudomé », j’ai accompagné Anthiou dans ses combats journaliers, j’étais avec elle chaque fois qu’elle écrivait à sa petite Témédi. J’étais son témoin, impuissante face à ce qu’elle subissait comme revers de médailles. Des revers toujours douloureux.
Peh de Geo a certes retouché des phrases pour que tout ceci soit cohérent et mieux lisible – une belle initiative, d’ailleurs, toutefois, et connaissant son combat panafricaniste, on ressent bien son implication personnelle dans les séquences mettant en exergue les problèmes sociaux et économiques de Séguima, de l’Afrique. J’avais donc l’impression d’être spectatrice, comme Anthiou, de cette coulée d’encre Peh de Geoenne. On pourrait, peut-être, imputer cela au fait qu’il flirtait pour la première fois avec la plume.
Merci à Peh de Geo de m’avoir fait connaître Anthiou, l’héroïne de Seguima. Peut-être la verrais-je de mon œil un jour, pour l’instant, je lui souhaite de jouir de sa liberté, du haut de son trône.
Pauline M.N. ONGONO
Promotrice de l’Agence de Consulting Littéraire ACOLITT (Cameroun)