Des origines du Gamou …

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Ce texte initialement publié le 8 Septembre 2019. Il est actualisé pour les besoins du Gamou 2024. Bonne lecture.

Chaque communauté humaine a besoin d’un idéal religieux pour se donner une raison d’être. Ce besoin de religiosité peut être assumé comme il peut faire l’objet d’un déni. En tout cas, la religion est la voie royale dans la quête de l’élévation et de l’excellence morale. De plus, elle permet de répondre, avec sérénité, aux questions les plus angoissantes sur la création, les créatures et le Créateur.

En Afrique, quelles que soient les formes qu’aient pu revêtir les pratiques religieuses, celles-ci ont toujours été une source d’équilibre de la société.

Il y a eu beaucoup de confusion sur le caractère monothéiste ou polythéiste des religions africaines. Laissons ce débat aux spécialistes.

Au Sénégal, à partir de ce que nous tenons de nos grands-parents et de nos parents, de par ce que nous avons appris dans les livres et selon ce qui nous a été transmis par les autres canaux de communication, le monothéisme a toujours dominé dans nos croyances. Selon le Professeur Assane Sylla, chez les wolofs « Yalla, l’Être suprême, n’a aucune commune mesure avec les autres esprits appelés tantôt Tuur, (esprit allié à une famille), tantôt Rab (Nom générique de tous les génies). La même situation se rencontre dans toutes les autres ethnies du Sénégal et des environs. L’observateur habitué aux schèmes occidentaux peut facilement prendre des intercesseurs pour des dieux.

D’ailleurs, on peut se demander comment une religion venue de la lointaine Arabie saoudite a-t-elle pu se propager sans heurts majeurs dans notre pays avec une adhésion teintée d’enthousiasme. L’Islam s’est installé aisément dans notre pays. L’éminent Cheikh Anta Diop nous donne une explication plus que plausible : Il existe une « … parenté métaphysique entre les croyances africaines et la tradition musulmane. » Assane Sylla abonde dans le même sens en précisant que « … le code de vie morale de l’islam ne pouvait que trouver un écho favorable chez un peuple dont le génie tout entier était orienté vers la recherche de la perfection morale. »

Cependant, malgré cette facilité de pénétration dans les cœurs et les esprits, il est resté dans un coin sombre de notre âme d’africains, quelques propensions à des pratiques païennes. On se rappelle la fameuse boutade de Senghor : « Au Sénégal, il y a 90 % de musulmans, 10% de Chrétiens et 100 % d’animistes. » Comme quoi, musulmans ou chrétiens, nous gardons toujours dans l’âme, une large part d’animisme.

Mais l’islam est une religion souple, nos guides, des sages bien éclairés. Sachant que toute âme est vulnérable à des inclinations perverses et à des influences néfastes, des saints parmi nos anciens se constituèrent en dernier maillon de la chaîne, entre les enseignements du prophète (P.S.L.) et le fidèle musulman.

Pour cela, la Tijaaniya et la Qadriya sont venues au Sénégal par le Maghreb, la Mauritanie et le Mouridisme et est né sur place.

A Kahone, capitale du royaume du Saloum, se pratiquait du 16ème siècle à une époque récente, un rituel païen. Cela consistait en des festivités pendant lesquelles, en marge des prédictions bien connues des sérères, était organisée une jouissance collective, sorte de bal masqué, où se mêlaient hommes et femmes, dans un anonymat suspect. C’était le Gamou de Kahone. A l’occasion, on festoyait, dit-on, masqués, avec tout ce que cela peut laisser deviner comme libertinage. Hommes et femmes y allaient dans une immoralité dissolue.

Alhaaj Malick Sy, pratiquant une pédagogie par absorption adaptée à la psychologie du sénégalais croyant néophyte encore habitué à ses anciennes pratiques, eut l’intelligence divinement inspirée d’opérer un détournement d’objectif. Désormais, le Gamou ne sera plus une fête païenne où se mêleraient beuveries et amoralité, mais l’occasion de commémorer d’une façon bien organisée, l’anniversaire de la naissance du prophète Muhammad (P.S.L.). Il aurait pu édicter une fatwa, pour interdire la manifestation peu orthodoxe pour un adepte de l’islam. Mais il a préféré contourner le dessein, sublimer l’appellation qui désormais désignait cette nuit bénie, qui précéda l’arrivée sur terre du vénéré prophète Muhammad (P.S.L.)

Cet événement qui commémore l’avènement du prophète de l’islam (P.S.L) le 12 Rabbial awal (3e. mois du calendrier musulman) n’a pas connu la même fortune partout dans les foyers islamiques.

En effet s’il a été fêté en Egypte dès le 4e siècle de l’ère musulmane et au Maroc depuis 1292, cela se faisait de façon austère et discrète. Les chiites par exemple, célébraient l’évènement par des processions, la journée, dans la cour du souverain, en présence du calife. En Arabie Saoudite, il ne faisait officiellement l’objet d’aucune festivité, vu que, ne figurant ni dans le coran ni dans les recommandations explicites ou implicites du prophète, c’était considéré comme du ‘’bidhaa’’ (innovation blâmable). Ce n’est qu’en 2017 qu’on le fêta à la Mecque de façon grandiose comme en a témoigné feu Sidy Lamine Niass, le 30 Novembre de cette même année.

Soulignons, en passant que le Président Kadhafi avait commencé à célébrer l’événement grandement en Libye et dans d’autres pays en partenariat avec La ligue populaire des tribus du Grand Sahara en 2006.

Après cette alchimie entre Maouloud et Gamou, Maodo Malick Sy a réussi autre chose. Il est parvenu à en faire l’occasion d’assises théologiques pendant lesquelles il rencontrait les muqqadims formés par ses soins, qu’on estimait à plus de sept cents, disséminés sur les territoires sénégalais, malien, guinéen et gambien. Ils se réunissaient tous à Tivaoune, une dizaine de jours avant le Mouloud.

A l’orée des séances de QASIDA AL BURDA, moments de récitals du poème mythique de Sidy Sharafeddin al Boussiry, temps d’exaltation du Seigneur de l’univers, il les recevait individuellement ou en groupes, pour, d’une part recueillir des informations sur la marche de la Tariqa Tijaaniyya dans leurs localités respectives, mais aussi pour donner consignes et recommandations, en plus de la mise à niveau théologique de ces plénipotentiaires. Cette pratique, basée sur le Gamou, contribua ainsi de façon significative, à propager la Tariqa et à implanter l’islam jusque dans de lointaines contrées.

Aujourd’hui, c’est par grappes humaines que des fidèles du Sénégal et de la diaspora, se rendent à Tivaoune à l’occasion du Gamou que l’on fête par ailleurs partout au Sénégal, dans de nombreux pays d’Afrique et du monde. Chez nous, les autres foyers de la Tariqa Tijaaniyya s’y mettent avec entrain et ferveur, à Kaolack, à Médina Baay, à Médina Gounass, à Dakar, à Louga, au Fouta …Les mourides ou disciples de Cheikh Ahmadou Bamba, donnent à l’évènement toute la dimension qu’il mérite, aussi bien à Touba que partout ailleurs.

Cela dit, qu’est-ce que la Tijaaniyya et qui était Elhaaj Malick Sy ?

La Tijaaniyya que je rechigne à appeler confrérie, terme utilisé par les agents de la colonisation française, tentés de les assimiler aux monastères chrétiens ou aux autres groupes dont les pratiques rappellent les sectes. Je préfère garder le terme arabe Tariqa que l’on traduit par voie.

Le Cheikh Ahmad Tijaan, à quarante-six ans, lors d’une retraite spirituelle, eut une expérience mystique en rencontrant le prophète Muhammad (P.S.L.), dans une vision éveillée. Il lui promit d’être son intercesseur privilégié et pour ses fidèles auprès d’Allah. Huit ans après, le 18 safar de l’an 1214 de l’hégire, il reçoit du même prophète (P.S.L.) le statut d’intermédiaire entre lui, Muhammad (P.S.L.) et les autres musulmans. C’est ainsi qu’il fonda la Tariqa qui porte son nom : la Tijaaniyya. Algérien, il fut contraint à l’exil par les autorités de son pays de l’époque. Les mouvements de foule qui convergeaient vers le saint homme les rendaient paranoïaques. Il s’installa à Fès au Maroc.

A l’occasion du commerce transsaharien, la Tijaaniyya fut introduite en Mauritanie, dans la Sénégambie, au Mali, au Burkina Faso…

Oumar Fuutiwu Tall, chef de guerre, souverain du Fuuta Toro, érudit musulman, adepte de la Tijaaniyya, se rendit en pèlerinage à la Mecque où il reçut de la part de Muhammad al Ghali, un des premiers disciples de Cheikh Ahmad Tijaan, le titre de calife de la Tariqa pour le Soudan, entendez l’Afrique de l’ouest.

Au Sénégal deux dynasties héritèrent du flambeau de la Tijaaniyya :

— La famille Omérienne, issue de la propre descendance de Elhaaj Oumar Tall.

— La famille Sy de Tivaoune par le biais de Elhaaj Malick Sy.

Comment le relais est-il parvenu à ce dernier qui pourtant ne fait pas partie de la famille de Oumar Tall ? Eh bien ! De façon mystique.

A son retour de la Mecque où il séjourna pendant dix ans, Elhaaj Oumar recevait les fidèles de toutes les contrées du pays venus solliciter ses prières et sa bénédiction. A l’occasion, la dame Fawade Wellé confia un pagne à son frère Alpha Mayoro Wellé, qui se rendait auprès du saint homme, à charge de le lui remettre de sa part comme cadeau. Elle n’avait pas manqué de préciser que si elle était un homme, elle viendrait avec lui participer à la guerre sainte, au jihad.

Mais au moment du départ, par mégarde, le frère oublia d’emporter le pagne. Arrivé auprès de Elhaaj Oumar, celui-ci lui réclama le pagne laissé sur place mais qui lui avait été destiné. Stupéfaction ! Comment a-t-il su ? En tout cas, le sage homme réclama le pagne qui lui fut finalement apporté. Puis, il prédit que de cette noble femme qui lui a envoyé ce cadeau comme le symbole d’un pacte mystique, naîtra un de ses successeurs pour la conduite de la Tariqa.

A dix-huit ans, le jeune Malick Sy se sentit investi de la mission d’ancrage et de consolidation de la Tariqa dans son pays. Et se mit aux études de façon fervente en allant chercher le savoir dans de lointaines contrées comme la Mauritanie, la grande université de Pir, auprès de quelques érudits de Saint Louis, de Louga, de Djolof, du Fouta entre autres, avant de s’installer à Tivaoune, actuelle capitale de la Tijaaniyya au Sénégal. Il effectua le pèlerinage à la Mecque pour la première fois en 1888 et, dit-on, en revint avec le titre de calife de la Tijaaniyya au Sénégal. Il quitta ce bas monde le 27 juin 1922 à l’âge de 67 ans.

Bon Gamou à tous.

Mbegaan Koddu.

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