« Idrissa Seck doit arrêter de parler le français. » Dixit C.Y.S.
De par la volonté divine, je ne suis pas un admirateur de Monsieur Idrissa Seck. Ses idées en politique et ses démarches sont contraires à mes convictions. Mais je trouve son phrasé plus convaincant et plus plaisant que le vôtre. Il croit plus à la magie du verbe qu’il ne parade et ne plastronne. Il cherche plus à convaincre qu’à plaire. Idy est un sénégalais qui s’exprime en français, il ne parle pas le français. Nuance que vous saisissez vite, vu l’intelligence très supérieure à la moyenne dont vous bénéficiez.
Chaque langue charrie les éléments de la culture qui l’a générée. Elle peut s’enrichir d’apports exogènes, mais son foyer d’origine la garde dans son sillage. Quand le français dit que Ousmane est éduqué, c’est par rapport à ses acquisitions en matière de culture française. Le petit Africain qui grandit dans la maison familiale, qui apprend la vie dans l’atelier de son père ne saurait être qualifié d’éduqué.
Pourtant, suivant la culture africaine, que d’instruits ne sont pas éduqués ou mal éduqués ! Je comprends maintenant pourquoi Alassane Ndao, cité par Assane Sylla (La philosophie morale des wolofs) disait ceci : « Nous ne devons pas attendre que d’autres qui n’ont pas vécu la même histoire que nous, qui ne sont pas concernés par les mêmes difficultés existentielles que nous, qui ne parlent pas nos langues maternelles, nous apportent des normes de pensée ou d’expression. »
D’ailleurs, qui nous oblige à parler le français au lieu de parler en français ? Notre complexe. Rien que notre complexe. C’est ce même complexe qui force certaines journalistes ou animatrices à s’affubler de cheveux postiches et à se tuer à s’exprimer dans un français de France sur le ton des parisiennes des bords de la Seine. Certaines poussent le bouchon jusqu’à grasseyer le wolof. Ça donne une Lilloise qui apprend le wolof. Catastrophe !!! Quand les français les regardent, ils rient sous cape. Pourquoi n’y a-t-il pas d’humoriste sénégalais au Parlement du rire ? Est-ce parce qu’ils ne veulent pas parler le français africain ? En tout cas, un Africain qui fait de l’humour dans un français de France, ça risque d’être fade.
Personnellement, je suis transporté de bonheur quand j’entends les Ivoiriens dire « Cabri mort n’a pas peur de couteau », lorsque le Guinéen dit « Je t’ai absenté à la maison » quand le Camerounais dit « Mouillé, c’est mouillé. Y’a pas mouillé sec » etc. En même temps, je suis séduit par le bel accent sénégalais de la journaliste sportive Fatoumata Sané de la RTS, j’adore lire Ndèye Codou Fall et Yacine Sèye, toutes deux hautement diplômées (femmes éduquées ! 😁). L’une écrit dans un wolof succulent, l’autre révèle fidèlement dans ses livres, ce qu’elle pense en wolof. N’en souffrent ni la sémantique, ni la syntaxe, encore moins l’orthographe. On appelle cela interférence linguistique. J’ai envie de dire résistance linguistique. Voilà le registre de Idrissa Seck. Bien des Africains s’y retrouvent. Monsieur Yérim, pas vous ?
Idy aurait pu dire à son interlocuteur « Ayez le dos large. » Il a dit « Elargis ta poitrine » (Yaatalal sa dënn). Il a pensé en wolof et s’est exprimé en français. Souplesse d’esprit. Bravo Idy.
Monsieur Cheikh Yérim Seck. Vous dites que votre souci est d’épargner nos élèves qui risquent d’employer le mauvais français que parle Idy. Réactualisez vos paramètres. La référence pour les jeunes générations, ce n’est pas Senghor qui reste certainement votre modèle, mais Mamadou Dia et Cheikh Anta Diop qui sont montés au top, dans l’esprit de l’homosenegalensis dont vous parlez avec tant de crainte et pour cause. Le moment n’est pas à l’apprentissage d’un bon français, mais à l’acquisition de connaissances scientifiques sures arrimées aux valeurs africaines. Notre actuel souci doit être : « Comment produire ce que nous consommons, comment consommer ce que nous produisons et surtout comment défendre nos territoires ainsi que nos valeurs. Disons simplement, comment retrouver notre souveraineté. »
A propos de Senghor, l’homme de culture le plus francisé d’Afrique, le dictionnaire français lui doit des mots comme Primature, Essencerie, Dibiterie … Sédar avait compris que le français de France ne peut pas exprimer notre vécu et nos ressentis d’Africains. L’académie française, pour enrichir sa langue, a suivi son regard.
Monsieur Seck, en attendant que nous remplacions le français, langue de travail et de communication, par nos langues nationales, acceptez que l’on torde le cou à la langue de Vaugelas, pour lui faire dire ce que nous voulons qu’elle dise. C’est une étape importante, dans le processus de la décolonisation mentale des Africains.
Mbegaan Koddu