La critique littéraire en question

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                                        » La critique littéraire :

        Pluralité des perspectives et place dans la chaîne du livre« 

La race humaine est prétentieuse. Sa pompe la pousse à s’adjuger un attribut de Dieu, le pouvoir de créer. L’homme initie, invente, innove, construit, fabrique et se croit créateur. Alors, le CREATEUR, le Vrai, l’Unique, ouvre, insidieusement une brèche dans son œuvre de créature limitée et périssable, pour la rendre imparfaite, c’est à dire critiquable. Toute œuvre humaine est ainsi critiquable parce que, par essence, imparfaite.

  Ensemble de belles œuvres, la littérature se plie à la règle avec complaisance. Elle admet et encourage la critique qui donne aux textes toute leur vitalité. D’ailleurs, en matière littéraire, le destinataire de l’œuvre qui en est friand est souvent le premier contempteur du livre, un critique redoutable. Cela, l’auteur le sait au point qu’en écrivant, il se prête à l’art de la séduction. Malgré tout, le lecteur se fait parfois rebelle et trouve à l’œuvre beaucoup de ses failles. Heureusement d’ailleurs. Cela est bon pour tout le monde.
Cependant, l’analyse du lecteur n’est pas extériorisée. Ça reste dans sa lecture, ses angles de vision. Il savoure, là est son plaisir.
Dès lors, se présente une préoccupation que l’on peut formuler en plusieurs questions : « Qui pour faire un retour à l’écrivain ? Qui pour lui donner un regard autre que le sien sur son œuvre ? Qui pour lui signaler les défauts de la cuirasse ?
Pour répondre à cette demande, un lecteur spécial entre en jeu : le critique littéraire. Pour mieux comprendre son rôle et son champ de compétence, journalistes culturels et amis du Livre ont eu l’heureuse initiative  de faire intervenir des sachants sur la question. C’était le Samedi 11 Novembre 2023 au Musée des Civilisations noires, à Dakar, au Sénégal. Un parterre d’intellectuels bien au fait de l’affaire nous a servi une production intellectuelle d’une rare qualité.
Panelistes : André Marie Diagne (Formatrice FASTEF, impériale sur le sujet qu’elle a traité avec aisance, à travers faits historiques et anecdotes croustillantes), Abdoulaye Racine Senghor (Critique littéraire PCA Musée des Civilisations Noires, la réflexion profonde, l’expression lumineuse, l’humour des grandes intelligences), Abdoulaye Diallo (Editeur Maitre dans son domaine, il s’insurge contre ceux qui tirent le métier d’éditeur vers le bas), Anna Sow Oulho Ardo (Professeure de lettres, très didactique, elle nous a présenté, de façon appréciable les desiderata de la critique littéraire.) Alassane Cissé Journaliste culturel, l’air formé et bien informé, semble en avoir dit moins qu’il n’en sait réellement)
Intervenants :
– Ibrahima Lô (Directeur du Livre et de la Lecture, représentant le Ministre de la Culture et du Patrimoine historique. Comme à son habitude, il a ouvert généreusement la voie de la réflexion, a suscité l’expression des idées avant de donner sa bénédiction qui toujours rassure.
– Baba Diop (journaliste, cinéaste, critique d’art, un dandy des temps modernes qui aborde le sujet qu’il semble bien maîtriser dans un phrasé très plaisant.)
– Aboubacar Demba Cissokho (journaliste culturel, grand lecteur, militant invétéré du Livre dont il défend la cause Urbi et Orbi)

Thème : « La critique littéraire : Pluralité des perspectives et place dans la chaîne du livre »

Après avoir suivis les conférenciers avec beaucoup d’attention, d’après l’inspiration que je leur dois, en guise de chronique, « je mets ça ici » :

S’il est entendu que la critique est une réflexion portée sur une œuvre, pour en faire voir les tours et les contours, question de la faire mieux comprendre, elle n’en est pas moins une évaluation de celle-ci à l’aune de critères spécifiques préalablement établis. Dès lors, il s’est agi de répondre à deux questions fondamentales :
– Qui peut être un critique littéraire ?
– Comment faire une critique littéraire ?
1- Qui peut être critique littéraire ?

  Tout le monde peut être critique littéraire : journaliste, écrivain, lecteur et autres  à la condition d’être formé et informé. Ce qui veut dire que le critique doit à la fois, avoir la formation académique nécessaire à la maîtrise des critères d’évaluation de chaque genre littéraire, et être au fait des contextes (géographique, historique, ambiance intellectuelle du moment …) de l’œuvre. Une bonne culture générale est plus que nécessaire à celui qui ambitionne de critiquer une œuvre littéraire. Bien maîtriser les intertextes et les éléments para textuels. En outre, le critique littéraire doit inspirer confiance, de par son intégrité morale et intellectuelle. Le profil n’est pas très commun, mais si chacun exerce son métier, les vaches seront bien gardées.
2-Comment critiquer une œuvre littéraire ?
Emettre une idée appréciative ou dépréciative sur une production littéraire requiert une grande responsabilité. Le sujet est sensible. On peut encenser un ouvrage comme on peut détruire un auteur. La critique frontale hargneuse et haineuse comme on en voit parfois à la télé, est contreproductive. Eric Zemmour en a massacrés plus d’un. Que de talents sont brisés par des critiques tendancieuses. Alors qu’une critique doit être accompagnatrice comme le tuteur d’une jeune plante.

Cela dit, il est certes aisé d’évaluer une œuvre en fonction des critères fondamentaux :
– Pour le roman, la concrétion, la multiplicité des personnages, les descriptions …
– Pour la nouvelle, récit comme le roman, la compression, la concision, la force expressive …
– Pour le théâtre, l’histoire au présent, les règles du dialogue, les didascalies…
– Pour l’essai, l’argumentation, l’effort de persuasion basé sur des références …
Mais n’est-il pas plus difficile d’accorder une valeur ou non à une œuvre selon son intime conviction basée sur son propre background de connaissances ou de compétences en divers domaines ? Autrement dit est-il facile de procéder à l’objectivation de sa propre subjectivité pour juger l’œuvre d’autrui ? On lit avec ses pré-acquis et ses propres sentiments de départ. Comment se décentrer, faire un pas de côté, par rapport à ses propres préjugés, ses partis pris, ses dénis face à un texte ?
Le racisme peut-être à la base d’une critique, dès lors tendancieuse. Le roman Batouala a été amplement cité. Pour avoir été le premier noir à gagner le Goncourt avec un livre pas tendre pour la politique coloniale de l’époque, René Maran a souffert de critiques sévères qui ont fini par l’affecter profondément.

Les convictions politico philosophiques peuvent imprimer leur marque dans une critique.
Senghor, grammairien francisé jusqu’à la moelle des os dont l’esprit était sans cesse tourné vers son royaume d’enfance en pays séeréer, ne pouvait qu’être de connivence avec un Camara  Laye qui opérait par un texte d’une littéralité exceptionnelle, un retour sur son enfance à Kouroussa en Guinée. Tous deux semblant ignorer les affres de la colonisation et les effets néfastes d’une décolonisation mal réussie. Le premier défend le second à qui, des intellectuels Africains comme Mongo Béti reprochent son silence dans son roman L’enfant noir sur la situation politique africaine de l’époque.
Senghor lui-même est attaqué par Wole Soyinka, très applaudi par l’intelligentsia africaine d’alors, qui lui reprochait la non combativité de son courant littéraire, la Négritude du reste contemplative chez le poète séeréer.

La morale n’est pas toujours absente. Le lauréat du Goncourt 2021 en a fait les frais.
On le voit donc, la critique est difficilement neutre. Faut-il se départir de ses croyances, de ses préférences, de ses convictions idéologiques, de sa vision de l’art, pour analyser froidement une œuvre, simplement d’un point de vue objectif ? La crédibilité du critique qui légitime son intervention dépend de son comportement non suspect par rapport à l’œuvre analysée.
En tout cas, quand elle est faite dans les règles de l’art, la critique est bénéfique, autant pour l’auteur que pour le lecteur qui, du reste peut devenir écrivain. La critique aide l’auteur à faire une descente sur son œuvre scrutée par un autre regard. Le lecteur est guidé par l’éclairage de l’étude critique et le futur écrivain acquiert à l’occasion des outils nécessaires à la production de textes à publier. Pour l’éditeur, le diffuseur et le distributeur, la critique aide à la promotion du livre et à sa commercialisation.
Enfin, puisqu’une critique, nous ont dit les panélistes, peut être faite oralement ou par écrit, il serait injuste d’oublier la critique émise par le public.
Le livre de Mbougar Sarr, dont beaucoup ignorent jusqu’au titre, a été accroché par un public souvent non lecteur.
Attention ! Ne nous y trompons pas, car dans le cas d’espèce, la critique du public était motivée moins par le contenu du livre que par l’arrière-pensée promotionnelle d’une vision du monde occidentale contraire à nos valeurs africaines.
On le voit bien, la critique littéraire est ouverte. Tout le monde peut critiquer un livre.
Voilà pourquoi nos auteurs s’astreignent à une autocensure que l’on comprend bien. Est-ce une bonne ou mauvaise chose ? Je me pose la question et la pose à vous, cher lecteur.
De même, l’on peut se demander si, pour nous Africains, le moment n’est pas venu de reprendre notre indépendance sur tous les plans ? Ne devons-nous pas faire valoir notre souveraineté éditoriale ? Mieux, ne devons-nous pas faire le deuil de beaucoup de nos remplis pour nous libérer du joug de la pensée occidentale qui nous indique encore ce qui est bon et ce qui est mauvais pour nous ?

Il est heureux de constater qu’une nouvelle génération s’investit dans l’écriture avec beaucoup d’engagement. Malheureusement, elle peine à émerger parce que l’on est encore englué dans un passé qui ne séduit plus mais qui s’impose par son cachet officiel qui le rend indétrônable. Ces jeunes auteurs se sentent mal à l’aise dans les carcans surannés qui retiennent le nouvel albatros sur le plancher, l’empêchant de voler de ses ailes régénérées. Leur nouvelle trouvaille, le Slam leur fait pousser des ailes d’ange, naguère réservées au poète adoubé. Le vieux sérail les ignore ou les néglige. Devons-nous garder les mêmes normes en voie de désuétude pour apprécier les nouvelles œuvres ou devons-nous reconsidérer nos jugements de valeur par rapport à la nouvelle production qui va avec l’ère du temps suivant les nouvelles réalités issues de l’éveil de l’Africain ? Devons-nous continuer à apprécier les œuvres de nos artistes sous le prisme occidental de leur vision du monde ? La critique actuelle ne doit-elle pas orienter les auteurs et les lecteurs vers des horizons constructifs et valorisants pour l’Afrique et l’Africain ?

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Merci aux organisateurs de l’évènement, aux panélistes, aux intervenants ainsi qu’au modérateur. Cela valait vraiment le détour.

Plus que toute œuvre, mon article est fort critiquable. Mais puisque selon un proverbe pulaar « Chacun peut un peu », c’est juste mon peu du peu. Excusez du peu. Bonne lecture.

Mbegaan Koddu

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