La problématique de la production arachidière de cette année est comme un nœud à défaire pour tous ceux qui sont intéressés par l’économie rurale du Sénégal. On a assisté à une vive polémique portant sur la question, soulevée et alimentée par des politiciens. On en voit l’enjeu. Les choix et les initiatives du nouveau gouvernement sont décriés par une opposition qui se montre tout d’un coup très intéressée par la question paysanne. Lors d’un récent séjour au Saloum, j’ai voulu en avoir le cœur net.
Abdou Sylla est un paysan né. Professeur d’Histoire/Géographie parti à la retraite il y a peu, il n’a jamais rompu le lien affectueux qui l’a tenu à la terre, de son enfance à nos jours. Il m’a dit : « On m’a baptisé avec l’argent de l’arachide. » Il a raison. Son père, agent vétérinaire à la belle époque, n’en était pas moins un grand agriculteur attaché à ses terres et à ses bêtes de labeur. Et puisque la caque sent toujours le hareng, Abdou, comme on aime l’appeler dans notre quartier, reste fidèle à la terre qu’il fréquente avec passion et fidélité.
Entre deux gorgées d’un chaud café Touba à l’arôme paradisiaque, servi par sa douce et avenante femme (Aïe ! Il n’en a qu’une seule, le poltron -Rire-), je lui ai posé quelques questions pour éclairer ma lanterne.
Moi : Mon cher Abdou. Il y a une grande agitation autour d’une mauvaise récolte qui serait due à de mauvais choix effectués par le gouvernement. Qu’en est-il exactement ?
Abdou Sylla : La réussite d’une culture repose sur plusieurs paramètres. Certains dépendent de la nature, d’autres sont d’origine humaine. Il y a eu de bonnes récoltes par endroits et de mauvaises dans d’autres. Ce qui me fait penser que c’est moins la qualité des semences qui doit être mise en cause que l’état des sols et les conséquences de l’instabilité des phénomènes météorologiques. Durant la germination de l’arachide, l’accélération et la densité de la pluie peuvent être un frein. Nous avons noté une reprise de la floraison à chaque fois que les pluies, espacées, tombaient la nuit, permettant un bon ensoleillement. Ce qui est indispensable à la photosynthèse.
Moi : Le gouvernement a mis un point d’honneur à assurer une distribution régulière et équitable des intrants agricoles. Le vrai paysan, a-t-il pour autant reçu sa semence et son engrais comme le voulaient les autorités étatiques ?
Abdou Sylla : Il y a longtemps que les semences n’ont pas été distribuées au Sénégal de façon si équitable et si efficace. Les paysans, les vrais, ont reçu leurs dotations sans chantage politique ni corruption. C’est une bonne initiative par la transparence et la ponctualité dans les opérations de distribution. Les nouvelles autorités sont à féliciter pour ça. D’un autre côté, certes, les semences étaient de bonne qualité, mais pour dire la vérité, nous paysans, on se démerde toujours pour avoir de bonnes semences. Beaucoup de paysans préfèrent acheter leurs semences à Diaobé ou garder une part de leurs récoltes. Ajoutez à cela que la pauvreté est un handicap sérieux qui pousse certains paysans à solliciter les commerçants. Les semences distribuées par l’état n’ont pas été semées par la grande majorité. Le problème est ailleurs. La rareté de la pluie ou son irrégularité empêchent une bonne production. La pauvreté du sol aussi. L’agriculture sénégalaise dépend encore de la saison des pluies et ses aléas. J’ai cru entendre les nouvelles autorités parler des autoroutes de l’eau. Si cela se fait, on pourra cultiver sans attendre la pluie avec ses incertitudes et ses revers. Je souhaite qu’ils réussissent ce projet.
En attendant, dans le cours terme, on doit se focaliser plus sur l’engrais que sur les semences. Il nous faut beaucoup d’engrais, assez de pesticides. L’engrais, en quantité et d’excellente qualité doit être distribué à temps, à coût moindre. Nous devons aussi envisager l’utilisation massive du compost pour une agriculture bio.
Moi : Le gouvernement parle de majorer le prix de l’arachide au producteur. Quel est le prix que vous estimez convenable pour un kilo d’arachide ?
Abdou Sylla : 400 f, c’est raisonnable. Cependant, il fautque l’argent soit sur place à temps, ce qui favorise la concurrence avec les baol baol qui font le mbappat ou marché parallèle.
Moi : On parle d’interdiction au paysan de vendre à des exportateurs, le produit arachide. Cette mesure vous convient-elle ?
Abdou Sylla… Même la SONACOS vend des graines aux Chinois. L’inflation est un avantage pour le paysan. Il faut que la SONACOS accepte de suivre les tendances du marché à temps.
Moi : Quel est votre dernier mot ?
Abdou Sylla : Les paysans font déjà plus de 70 pour cent de la population sénégalaise. Il faut surtout les prendre en considération, en priorité, dans les programmes de développement. Cela dit, j’appelle les jeunes à se tourner vers l’agriculture. Ils ne le regretteront pas car, la terre ne ment pas.
Mbegaan Koddu