Une page sénégalaise d’une histoire africaine

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Ce texte publié pour la première fois le 15 Octobre 2019 à l’occasion du Magal du 17 Octobre 2019 est actualisé chaque année. Voici la version 2024. (Pour la partie gabonaise de mon récit, je me suis inspiré du reportage de Yves Laurent Ngoma, correspondant de RFI au Gabon. Pour approfondir ses enquêtes, il s’est rendu sur les lieux de détention de Cheikh Ahmadou Bamba, accompagné de fervents talibés mourides vivant au Gabon)

La leçon d’histoire que l’on n’a pas encore enseignée à nos élèves.

Nos ancêtres ont raté l’occasion les initiatives historiques qui ont porté les autres à enjamber les mers pour faire des découvertes fructueuses, à fabriquer des objets qui tuent de loin, à se forger une intelligence au service du mal, du mensonge et de la trahison. Ils étaient dans l’entretien de la noblesse de leur âme. La pureté était africaine. Le respect de la parole donnée, le sens de l’honneur, de l’amitié et de l’hospitalité dictaient à nos anciens l’obligation naturelle de mettre tout hôte bien à son aise. Des explorateurs européens ont profité de notre naïve bonté, pour nous livrer à des négriers puis à des colonisateurs.

Réveillés tardivement, de braves gens du continent se sont insurgés contre la volonté de domination des ‘’blancs’’, refusant la sujétion, l’asservissement, l’humiliation et le vol organisé de nos richesses. Partout en Afrique, des hommes et des femmes héroïques, se sont illustrés en s’opposant au projet colonial. Ils ont vaillamment résisté en se battant qui, avec des sagaies, qui avec la hache ou le coupe-coupe, qui avec la flèche empoisonnée, qui avec le fusil, inventant des ruses et des tactiques telles que celle de la terre brûlée : c’était la résistance armée. D’un autre côté, certains ont résisté de façon décisive par la puissance de leur plume engagée dans la voie de la spiritualité. Ils étaient redoutés. Comment lutter contre Dieu ?

Dès lors, l’intrus orgueilleux, cupide et arrogant, habité par sa peur pathologique qui lui faisait voir toujours et partout des ennemis super dangereux, se mit à frapper à gauche et à droite. La France a brûlé des villages en Afrique, torturé de braves gens, tué de vaillants guerriers, sacrifié des rois aimés de leurs peuples, supprimé ou déporté des hommes de Dieu, pour simplement cacher sa peur de voir sa puissance factice remise en cause.

C’est ainsi que le jeudi 19 Septembre 1895, le colonialiste français a embarqué dans un bateau, un homme de Dieu, un ascète septuagénaire, pour le lointain Gabon, sous le prétexte qu’ils auraient appris que le marabout préparait la guerre sainte, qu’il se serait mis à accumuler des armes, à préparer des provisions pour une campagne de belligérance.

Tous les frères et sœurs d’Afrique doivent savoir que ce 18 Safar 1313 (calendrier de l’hégire), un Africain du Sénégal, homme de dimension universelle a été exilé de son pays par le colonisateur français pour des motifs aussi légers que fallacieux. En langage administratif colonial, cela donnait : « Ses agissements et ceux de ses talibés menacent de troubler la tranquillité du bas Sénégal. »

Le fait est que le Saint homme dont s’agit, mobilisait des foules, par la simple expression de sa foi certifiée authentique. Des gens tombaient en transe à l’évocation de son nom, d’autres lui vouaient tous leurs biens alors que le saint homme qui portait des boubous sans aucune poche, était comme une boîte à lettres. Ça venait, ça partait. La redistribution sociale est une des bases solides sur lesquelles repose sa pensée socio économico religieuse. Humble, ascète, sobre et frugal, l’esprit sans cesse tourné vers Dieu, il dormait sur une natte au moment où ses livres coraniques occupaient son lit, dans une case toute modeste. Ses poèmes panégyriques sur le Prophète Muhammad (PSL) qu’il concevait à longueur de journée illuminaient l’âme des croyants. Des habitants de lointains royaumes aux croyances anciennes se convertissaient à l’islam en empruntent la voie confrérique qu’il avait tracée, convaincus par la pratique soufie d’un islam à cachet négro africain. Pour être ‘’Mouride’’ (aspirer à aller vers Dieu), la devise est simple : Discipline-Dévotion-Travail-Partage. Il était écouté et suivi par des milliers de fidèles. Pour le colonisateur, le saint homme répandait une idéologie propre à créer des fous de Dieu qui, une fois bien organisés, pourraient remettre en cause sa domination.

La dimension spirituelle de Cheikh Ahmadou Bamba, puisqu’il s’agit de lui, était sans limite.  Un jour il commanda un bon plat de poulets bien rôtis et merveilleusement assaisonnés. On le lui apporta. Il commanda qu’on levât le couvercle, puis, ayant humé le fumet appétissant de ce mets qui devait exciter les papilles de tout humain, il fit signe de l’en éloigner.  La leçon était donnée. Il venait d’apprendre à ses disciples que plus nos désirs nous omnibulent, plus nous devons les réprimer. Ce repas-là, le saint homme n’en mangea point. Il indiquait qu’il faut avoir une capacité de résistance face aux désirs entrainants de la vie terrestre. (Plus tard, M. Gandhi vécut dans un pareil ascétisme.) Sa vie entière était consacrée à la composition de ses poèmes à l’honneur du prophète Muhammad (PSL), à la lecture du Coran ou à la prière, moment de communion intense avec Allah. Un jour qu’il se rendait à la mosquée pour diriger la prière des fidèles, arrivé à la hauteur de quelques talibés qui montaient une palissade autour de sa maison, il leur demanda : « Au moment où débutait l’appel à la prière, où est-ce que vous en étiez ? » On lui indiqua le segment qui, probablement avait été fait durant l’appel du muezzin. Il leur dit « Détruisez ça. Vous reprendrez après la prière. » Morale, tout ce que le musulman accomplit au moment de l’adhan est impie. Dieu avant tout. Le cheikh ne vivait que pour sa religion. Se vouer entièrement à Dieu et formater l’esprit des fidèles pour que leur âme soit imbibée de saveur divine, voilà ses seules préoccupations.

On décida de l’éloigner de ses disciples, de ses admirateurs, des autres musulmans ainsi que de toutes les personnes susceptibles d’être séduites par sa grandeur mystique. C’est l’exil.

Pour cette opération, entre les agents de l’administration coloniale et le Saint homme, les objectifs étaient divergents. Tandis qu’ils l’éloignaient des siens pour réduire son influence, Cheikh Ahmadou Bamba rendait grâce à Allah pour lui avoir confié cette mission apostolique qu’il était heureux d’accomplir. « Au moment où je marche, je suis en compagnie des vénérés…Mon Maître est mon guide dans ma marche…Mon salaire pour les services que je rends au Prophète demeure réel en Dieu… » Ecrit-il dans le célèbre poème intitulé Assirou Mahal Abraari.

Le saint homme donc, conscient de la mission divine qui venait de lui être confiée, entreprit son apostolat en acceptant son sort avec la sérénité d’un doctrinaire de premier ordre. Tout autre que lui aurait mis en valeur la date de son retour d’exil. Mais selon sa volonté, c’est le jour du départ qui est commémoré.

Allez à Touba en un jour de Magal (date anniversaire de son départ pour l’exil), Que de monde ! Que de ferveur religieuse !

Revenons à l’exil. Durant sept ans, ils le tinrent éloigné des siens dans des lieux tellement incommodes que l’on peut se demander si ses bourreaux étaient pourvus d’une once d’humanité, cette qualité dont iles Français se targuent pompeusement, s’en vantant tant.

Comment peut-on retenir dans une solitude absolue, pendant sept ans, un sahélien de 74 ans, au cœur de la forêt équatoriale, à Mayumba avec ses pluies quotidiennes, sa moiteur, son climat peu clément, ses animaux sauvages et ses petites bêtes immondes, sans abri ni nourriture décente, puis à Lambaréné, toujours livré à une nature sauvage ? Rien que pour faire ses ablutions, il lui fallait descendre de la montagne bravant toutes ses aspérités pour rejoindre le fleuve Ogooué à quelques mètres de là. Il planta quatre arbres sur un rectangle, représentation mentale d’une mosquée pour ses prières. Là, il accomplissait ses actes de dévotion, jour et nuit. Jaloux de ses relations privilégiées avec le Créateur, ses gardes détruisirent ses installations de fortune. Quelle cruauté ! Leur méchanceté ne se limitait pas à l’exil. Il fallait en plus l’empêcher de prier. En perpétrant cette forfaiture, ils ignoraient, ce que lui savait d’une science certaine. A cet endroit précis, dans ce milieu hostile de Mayumba, trône de nos jours, une mosquée d’une grande envergure. De même, la mosquée centrale de Libreville est édifiée là où Cheikh Ahmadou Bamba faisait sa prière durant les premiers mois de son exil.

Bamba continuait à louer Allah pour la grâce qu’il lui accordait de lui confier cette mission de consolidation et de vulgarisation de l’islam. Picasso aurait dit que même les casseroles nous parlent. Qu’importe que la phrase soit de lui ou non. Ce que je puis affirmer est que tout nous parle. Si une partie de notre corps tremble ou vibre, Dieu vient de nous parler. Il s’adresse à nous, simples gens, jour et nuit, de mille manières. Quand Dieu s’est adressé à Abraham, à Moïse, à Jésus et à Muhammad (PSL), il n’est pas descendu sur terre à chaque fois. Il a procédé par le ‘’wahyun’’, cette intense inspiration qui leur insuffle la parole divine non dans l’oreille mais dans l’âme. Si Cheikh Ahmadou Bamba, au moment des atrocités les plus inhumaines, souriait dans son turban, c’est qu’il avait reçu la parole de Dieu et que son prophète le rassurait. Sa joie intérieure faisait de lui l’humain le plus heureux de la terre. Il savait ce qu’ils ignoraient.

Tenez, selon leur loi cynique, ils lui accordaient 5o f (de l’époque) par mois, pour ses besoins. Le cheikh s’en détourna avec mépris. Au bout d’un an, le lieutenant affecté à sa garde qui avait accumulé la somme dans un bas de laine la lui apporta. Le saint homme refusa de prendre l’argent qu’il lui tendait. Alors, ce mécréant osa tenir ce propos, à l’évidence blasphématoire : « Ici, cet argent est plus utile que ton Dieu. » La réplique de l’homme de Dieu fut à la mesure du blasphème. Il lui arracha le gousset des mains et le lui jeta violemment au visage. Voyant que son front saignait, il alla se plaindre auprès de ses supérieurs. Notre Bamba fut convoqué pour un jugement au tribunal militaire de Ndjolé. Le jour J, il y trouva l’almamy Samory Touré qui y était convoqué aussi. Curieusement, le plaignant contre le saint de Touba ne se présenta pas. Pourquoi ? Bamba savait ce qu’ils ne savaient pas. Il retourna à sa place habituelle, attendant le prochain décret divin.

Ils ont tout essayé : l’intimidation, l’humiliation, les supplices les plus atroces pour ébrécher sa foi. Rien n’y fit. Sa foi se raffermissait davantage. De guerre lasse, ils le ramenèrent le 11 Novembre 1902. Triomphe pour le Serviteur du Prophète, tête basse pour ses persécuteurs venus sur nos terres nous ‘’civiliser’’. Ils sont encore là, pour nous apprendre à respecter les droits de l’homme, c’est-à-dire des faveurs pour les tricheurs, les libertins et les traites.

En attendant, Allah a rétribué à Cheikh Ahmadou Bamba le tribut de sa mission bien accomplie. Le ‘’muridya’’, (confrérie fondée par lui), se répand comme une trainée de poudre dans le monde entier, jour après jour. Et chaque année, à l’occasion de la commémoration de l’anniversaire du départ pour l’exil, des millions de musulmans de toutes les confréries et des milliers de chrétiens du Sénégal s’y rendent pour célébrer l’événement.  En matière de tourisme religieux, après la Mecque (et peut-être Fez), c’est Touba, par la volonté de Dieu. Cette année, ça se passe le jeudi le 23 Août.

 Bon Magal à tous ! Ila Touba !

Mbegaan Koddu.

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