Waga di ndaga

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De la poésie en wolof. Une révolution dans l’air.

« Aada bari bokkul

Jooy tubaab jaangi nii

Fab muus mulay seben … 

Les cultures sont diverses et différentes

Voici celle des Occidentaux

Tenir dans ses bras un chat qui vous pisse dessus … »

Dommage que ma mémoire m’ait lâchement trahi. Je tenais de Dame Babou un poème de Cheikh Anta Diop écrit dans un Wolof simple et pur. De ce beau texte, il ne me reste que ces quelques bribes, du reste, largement suffisantes pour marquer la vision souverainiste du digne fils de Ceytu.

Au moment où Senghor prônait la civilisation de l’universel, concept qui correspond aujourd’hui à la mondialisation, laquelle appelle l’abâtardisation de nos valeurs au profit de celles de la Culture des dominants, le Professeur Cheikh Anta Diop luttait pour l’acquisition d’une souveraineté véritable basée sur la revalorisation de notre Culture authentique.

Parmi les canaux de communication qui servent à exposer, à enrichir et à pérenniser une culture, la langue du terroir est pour chaque communauté humaine le véhicule le plus efficace. On n’exprime sa culture dans une langue étrangère que de façon approximative, en lui ôtant d’ailleurs toute sa saveur.

La langue Wolof est l’outil d’expression orale le plus utilisé au Sénégal. Progressivement, il s’impose comme principale langue nationale de par son dynamisme, sa richesse et son adaptabilité. Je n’en veux pour preuve que l’emploi quotidien, à une échelle nationale qu’on en fait à la télé, à la radio, sur les panneaux publicitaires et même sur le terrain de la vie politique partisane ou sur les plateformes de la société civile. La tendance dans les mouvements politiques et dans la société civile, c’est le virage vers les appellations « wolof » : « Bennoo bokk yàkaar, Yeewi askan wi, Teeki, Gëm sa bopp, And defar jikko yi … » D’un autre côté, quand vous circulez dans les rues de nos grandes villes, levez la tête, vous verrez sur les pancartes publicitaires des réclames en wolof, rien qu’en wolof. » Voilà une chose magnifique.

Ce que l’on regrette cependant, c’est la maladresse que l’on constate dans la graphie des mots wolof, aussi bien dans la publicité que dans l’infographie à la télévision. Catastrophe ! Moi, le séréer de naissance qui ne parle pas ma langue maternelle pour des raisons sociologiques, j’en ai souvent souffert. Les fautes d’orthographe en wolof m’horripilent. C’est pourquoi, quand Monsieur Ahmadu Lamin Samba Caw m’a présenté son manuscrit, entièrement écrit dans un wolof correct avec un verbe dense et une verve hautement poétique, j’étais exalté. Pour respecter la procédure, je lui ai indiqué une maison d’édition spécialisée en wolof. Il m’a répondu qu’il en revenait mais que sa demande n’était pas satisfaite du fait que leur programme était trop chargé dans ce domaine, à ce moment. Chose que je comprends parfaitement. Alors, je lui ai dit, sauf opposition de notre Comité de lecture, SEGUIMA va s’y mettre. Le Président de ce comité s’est montré émerveillé. Nous nous sommes donc engagés à publier Waga di ndaga, notre première production en langues nationales. Pour rendre approximativement le titre du livre en français, nous dirons : « Danser de façon si obscène, alors qu’on est en détresse. » Waga est une maladie (épidémique en un moment au Sénégal ) qui provoque d’intenses et trop fréquentes démangeaisons. En se grattant de la tête aux pieds dans le désordre, de façon simiesque, on donne l’air d’un danseur endiablé. Comme quoi, celui qui en est atteint, malgré sa souffrance, est obligé de danser. Le ndaga est une forme chorégraphique qui faisait fureur dans les années 70-80. Des dames séduisantes, allumeuses dans la mise et par les gestes se livraient sans retenue au rythme des sabar et d’un xalam, instruments pervers et complices. Cette joie de vivre, va-t-elle avec l’atrocité d’un quelconque mal ? Ahmadu Lamin Samba Caw est-il un philosophe qui agite une pensée que l’on découvre en le lisant ?

En tout cas, par l’oxymore waga-ndaga, il nous appelle à une réflexion profonde. D’ailleurs, son livre s’ouvre par un avertissement : 

« Ku taggatembe ci guta

Bëgga am aafiya

Gu muy sàmme aada

Fàww nga waga di ndaga »

« Lorsqu’on est coincé dans un gouffre

Et qu’on veuille avoir la liberté

De préserver sa culture

Nécessairement, il faut qu’on danse le ndaga tout en étant waga » 

Le ton est donné. Et puis, il se présente :

« Ňun la sëtti Sankara,

Yi pànkaa ni Gewara,

Yor laamisoog Mandela,

Sunu mébét kawe gu Obama. »

« Nous sommes les petits-fils de Sankara,    

Aussi révolutionnaires que Guéwara,

Tout en étant conciliants à la manière de Mandela,

Nos ambitions dépassant tout de même celles de Obama. »

Waga di nda est un recueil de poèmes d’une littéralité qui nous égaye et aussi d’une musicalité qui nous tire de notre torpeur d’Africains souffrant de mille maux. Il est écrit dans un wolof correct du point de vue sémantique et l’orthographe ne souffre d’aucune entorse.

A ceux qui comprennent wolof, j’offre cette dernière strophe du livre :

« Waaye ki la ëpp ay ŋeleju

Dàq laa regeju

Su la xaňee njabaan

Yëlbul wookk sa ndoŋ … »

Bonne lecture

L’éditeur

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