LE SENEGAL RECONCILIE AVEC LUI-MEME

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Le 11 Mars 2021, pendant que le pays était en ébullition, dans une chronique intitulée « Un caillou contre la République », j’avais fait un gros plan sur un manifestant de type particulier. Il s’agissait d’un homme d’une soixantaine d’années, d’une taille plutôt grande dont le boubou dépassait largement la mesure, avec des manches exagérément amples. Ce personnage en bonnet de fabrication locale s’était ceint les reins d’une écharpe comme font les disciples hyper dévoués au moment d’effectuer un quelconque travail pour leur marabout.
Les Sénégalais de son genre sont attachés à longueur de journée au service de leurs guides spirituels. Pourtant, ce jour-là, on a pu le voir dans la mêlée, parmi les jeunes frondeurs, baignant dans une atmosphère empestée de gaz lacrymogène. Il projetait une grosse pierre avec une hargne et une détermination à charger un fauve en pleine jungle.
Cette image était à la fois inhabituelle et hallucinante. Visiblement l’homme était l’intrus du groupe. Que faisait-il là ? Pourquoi manifestait-il de façon si violente ? Quel était l’objet de sa colère ? Contre qui manifestait-il ?
Pour qui connait le milieu de ces genres de disciples religieux, la démocratie n’y est pas une notion mobilisatrice. Les questions politiques n’y sont pas source de motivation. On y ignore jusqu’aux noms des politiciens et membres du gouvernement. Le chômage n’est pas leur préoccupation. On n’a jamais vu un ancien taalibe chômeur. Il crée toujours son propre emploi.
Quelle était alors la cause profonde qui avait amené cet homme à manifester de façon si puissante son exaspération ?
Pour commencer, sa raison d’être est sa foi et celle-ci est souvent bafouée par une pratique constitutionnelle tirée de la déclaration des droits de l’homme, ce condensé de principes bourgeois et anti religieux.
A l’époque, j’avais conclu que le moteur de cette volonté si révolutionnaire ne pouvait être que son aversion pour ‘’La République’’.
Le fait est que ‘’Je suis Charlie’’ est passé par là, cette marche dite républicaine à laquelle avait participé le Président Macky Sall. A l’occasion, la France officielle manifestait son indignation face à la tuerie de Charlie Hebdo, journal habitué aux provocations du genre blasphématoire envers le prophète Muhammad (PSL) au su et au vu du gouvernement de France. Macky avait donc pris le parti de la République française contre la sensibilité musulmane de son pays à hauteur de 90 %. Pourtant, cette même république française est intolérable en cas d’une quelconque manifestation jugée antisémite (Le comédien Dieudonné en a durablement fait les frais. Sa carrière est brisée pour cause de propos blasphématoires contre le peuple juif.) La majeure partie du peuple sénégalais avait gardé une dent contre Macky Sall pour s’être rendu si promptement à Paris dans le but de manifester sa solidarité au nom du peuple sénégalais, à ceux qui se sont moqués de notre prophète.
Dans notre pays, la dépravation des mœurs sociales était à son comble : des séries télévisées à allure pornographique occupaient les télés journellement et la promotion de l’homosexualité était devenue une chose banale …
Un guide religieux (Imam Alioune Ndao) sans défense, a été brutalisé à 2 h du matin, humilié dans sa famille, malmené devant ses disciples, emprisonné, torturé condamné à 20 ans d’emprisonnement pour finalement être relaxé purement et simplement après 3 années d’incarcération injuste et inutile. Il est mort peu de temps après.
A cela s’ajoutait le mépris avec lequel on traitait l’école coranique. Tout pour l’école française, rien pour les daaras. Les maîtres coraniques étaient diabolisés et ostracisés. Les apprenants des Daaras appelés talibés étaient ramassés dans la rue et amenés on ne sait où. En fait, on confondait taalibe et enfants de la rue. Certains daaras ont été incendiés sans qu’il n’y ait eu, à ce que je sache, la moindre enquête.
Une caste de jeunes marabouts était entrainée dans un engrenage infernal de gains litigieux d’argent, une ambiance de corruption et de blanchiment d’argent poussée à l’extrême, d’enrichissement phénoménal pour des raisons de clientélisme politique … Les disciples habitués au comportant d’ascètes de leurs guides, historiquement distants envers l’argent et les biens terrestres, en venaient à perdre complètement la boussole.
Le goutte d’eau qui fit déborder le vase était ce Covid 19 et ses effets pervers, notamment ce vaccin douteux dont on ne voulait pas, surtout en milieu religieux.
Voilà, me disais-je, ce contre quoi manifestait cet homme.
Trois ans après, le caillou de notre singulier frondeur que j’avais qualifié à l’époque de bombe, ayant atteint sa cible en même temps que les milliers de pierres lancées par les autres Sénégalais. Le régime dit libéral de Macky Sall s’est écroulé avec fracas le 24 Mars 2024.
La nouvelle équipe suscite énormément d’espoirs pour toutes les franges de la société sénégalaise. Je n’ai pas revu le fameux frondeur, mais celui que j’ai vu ce Samedi 19 Octobre 2024 à Dakar Aréna, pourrait bien être son alter ego, venu à sa place, communier avec le peuple qui, décidément, assure sa révolution.
Observez-le sur l’image. Il s’agit d’un vieux ‘’Baay Faal’’, musulman fervent, volontairement attaché au service de son marabout ou à la cause qu’il incarne. Sa vie n’a de sens que dans le dévouement inconditionnel. Comme tel, il est respecté au Sénégal où il bénéficie d’un préjugé favorable en matière de don de soi pour la communauté. Son accoutrement le désigne et les effigies qu’il porte sont les preuves de son allégeance et de son engagement. D’habitude, sur sa poitrine, il ne pend que la photo de son marabout.
Le voici à Dakar Arena, ce Samedi 19 Octobre, loin de son milieu habituel, portant les effigies de SONKO et de DIOMAYE, tenant le drapeau du Sénégal brandi comme un étendard. Ndeysaan ! Quelle image ! Qu’il est sublime ce regard sur l’avenir dont le porteur n’a plus d’avenir. Son passé lui suffit. Mais il accompagne les jeunes pour qui, il voudrait qu’on laisse un avenir rassurant. Que d’espoirs !
Presque en larmes, je me dis : « SONKO et DIOMAYE » ont réconcilié l’Etat et le peuple véritable.
A bon entendeur, le Sénégal avance.

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