La Culture pour un peuple est comme le nez sur le visage d’un humain. C’est ce qu’on voit en premier et c’est par là que le peuple inspire l’oxygène de son existence qui, quoique venant de la nature, nous en éloigne positivement. Le bébé nait avec ses potentialités que son milieu transforme en personnalité. Notre Culture nous cueille au berceau. « Lorsque l’enfant parait, le cercle de famille applaudit à grands cris … » Dixit Victor Hugo. Evidemment, on accueille l’enfant et on l’introduit dans le monde des humains selon la Culture dans laquelle baigne cette famille. C’est quoi la Culture ?
Parmi toutes les définitions que l’on donne de la Culture, je choisis celle qui la considère comme la façon commune pour un peuple de concevoir ses rapports avec son environnement et avec le cosmos. Cela englobe les systèmes de valeurs, les traditions, les croyances … Tout un mode de pensée qui s’exprime par les arts, la science et qui se transmet par l’éducation.
On le voit, cette culture n’est pas que chants et danses mais doit être un mode de pensée qui nous unit et fonde notre développement sur tous les plans.
De l’indépendance à nos jours, la culture au Sénégal, c’est encore ce que Senghor nous a laissé. L’école de danse Mudra Afrique fondée par Maurice Béjart (Français) et Germaine Acogny (De nationalité française), avait pour mission d’apprendre aux Sénégalais à danser comme les tubaabs. A la télé, nous avions des Jacques Césaire, des Jacqueline Scot Lemoine … Et nous trainons encore avec cette vision culturelle de la contemplation des statuettes et des masques.
Heureusement qu’un vent du renouveau souffle dans les arts, surtout au cinéma où nous nous enorgueillissons du talent d’un brillant réalisateur du nom de Moussa Sène Absa, né en 1958 à Tableau Ferraille, une banlieue de Dakar. Artiste aux multiples facettes, il est peintre, écrivain, musicien, acteur, metteur en scène de théâtre. Il a débuté au cinéma en écrivant le scénario du film ‘’Les Enfants de Dieu,’’ puis celui du court métrage ‘’Le Prix du Mensonge’’, primé à Carthage en 1988. Son long métrage ‘’Xalé,’’ les blessures de l’enfance a remporté le prix spécial de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) lors de la dernière édition du FESPACO.
Moussa Sène Absa est un homme qui porte beau dans des mises vestimentaires qui en disent long sur sa vision de la culture africaine dans toute son authenticité. Je l’ai toujours dit : « L’habit ne fait pas le moine, mais il le désigne. » Les vêtements que porte notre artiste tiennent lieu de discours. Ils le définissent comme un fils de son terroir qui fait le tour du monde bardé de son identité bien sénégalaise. Jovial et très causant, il est d’une agréable compagnie car alliant l’intelligence du seereer à la finesse du lébou en plus de l’humour de l’artiste. Il ne fait pas de vagues, il ne déplace pas les meubles. Il avance sûrement, à pas feutrés certes, mais il ne rate jamais sa cible. Son public est toujours séduit car ses films sont toujours digestes, quoique très souvent assez critiques.
Dans Madame Brouette par exemple, il nous montre une femme brave, non sous un angle féministe mais dans les tourments d’une condition humaine peu tendre. Elle vit et se bat dans un monde de corrompus, de lascars et de débauche dans lequel il est plus facile de perdre son âme en la vendant au diable que de rester digne et moralement indemne. Les difficultés s’entassent, elle pousse sa brouette pour gagner dignement sa vie. En passant, le réalisateur porte quelques coups de griffes à l’encontre de la grande société, dans un humour plutôt discret. J’ai bien aimé l’inspecteur de police qui fait le parfaitement futé, le journaliste reporter zélé, le commissaire naïf et surtout la musique du film qui nous accompagne agréablement le long des différentes péripéties. Ce que j’aime surtout dans ce film, c’est la convergence parfaite entre le décor, les costumes, la musique de fond et même l’accent des acteurs quand ils parlent français. Tout est sénégalais. Ça ressemble au concepteur du film. Ça fait vrai. Ça fait beau.
Tableau ferraille est dans la même veine. Une peinture sociale soft mais critique. Les politiciens par exemple, n’en sortent pas indemnes. J’ai adoré cette sorte de comédie musicale harmonieusement insérée dans le film. Ah ! cette belle dame qui disparait, accompagnée de cette lugubre chanson scandée par le talentueux Souleymane Faye !
Je n’ai pas regardé Xalé. Cependant, j’ai encore en mémoire Goorgoorlu. Ah ! Quelle merveille ! Une fresque pleine d’humour et de leçons de vie. Cette suite de courts métrages eut tellement de succès que lors de sa déclaration de politique générale, le Premier Ministre Idrissa Seck fit mention des prouesses de Goor, présenté comme un Sénégalais modèle qui trouve la dépense quotidienne avec beaucoup de panache. On se rappelle que le Président Abdoulaye Wade avait reçu Goor et Jeeg. La dame Rokhaya Niang qui a joué le rôle de Madame Brouette a eu aussi cet honneur.
Vivement que Monsieur Sène nous revienne avec des téléfilms plaisants et didactiques, pour ne pas laisser le terrain à certains. Dans une de mes chroniques, j’ai fait écho de Bakary Taximan, qui, à bien des égards, rappelle Goorgoorlu. Bakary est aussi un goorgoorlu. Mais son drame est qu’il est un vrai guignard. Il est aussi malchanceux qu’un oiseau qui se retrouve entre les mains de quelques enfants turbulents. Un excellent film. Mais c’est peu. Il nous en faut d’autres avec des touches différentes.
Dans une interview à la RTS, j’ai entendu Monsieur Sène dire « La télévision est un meuble. Le cinéma est un art. » Par cette belle formule, il nous montre sa haute considération du cinéma. C’est l’expert qui se prononce. Nous respectons son avis. Cependant, nous le prions de ne pas laisser la télévision à ceux qui se font dicter des scénarii par les bailleurs de la civilisation occidentale, qui tendent à pervertir notre société. Cela parce que, je le cite : « Si tu n’as pas une bonne armée, tu auras l’armée des voisins chez toi. » Je souhaite qu’il ne laisse pas ce terrain aux gribouilleurs non plus.
Parlons de son engagement politique. Malgré sa souplesse et sa finesse dans l’expression de ses idées par le vecteur cinématographique, Monsieur Sène est un grand patriote qui ne joue pas au neutre quand vient l’occasion de prendre le parti de la justice. Le 17 Décembre 2022, au moment où le Sénégal était en crise du fait des dérives du régime dirigé par Macky Sall, il écrivit sur sa page Facebook très suivie : « Quand j’étais petit, à l’école, les nullards étaient au fond de la classe. Je suis devenu grand-père et les nullards sont assis aux premiers rangs. Le résultat ? Le pays est à la dérive » Allusion à peine voilée alors qu’à l’époque, on partait en prison ou on faisait l’objet de tracasseries pour moins que ça.
La veille, il postait : « Mon pays est pris en otage pour une affaire de fesse mal ficelée : mauvais casting, mauvais décors, mauvaise réalisation, mauvais scénario, mauvais timing…Un vrai navet qui risque de bruler le pays après les 14 morts déjà enregistrés. De là à élargir ma trilogie et faire un nouveau film, il n’y a qu’un pas. Je l’appellerai : « La putain de la République’’.
Ainsi prenait-il position de façon si nette dans l’affaire Adji Sarr qu’il considérait comme un complot mal ourdi.
Nous attendons impatiemment ce film qui, bien que rappelant le livre de Christine Deviers-Joncour par le titre, présentera une situation différente de celle de la maitresse de Roland Dumas. La française était manœuvrière tandis que Adji Sarr était un jouet entre les mains de politiciens véreux.
Sur un autre registre, nous pouvons dire qu’idéologiquement, Monsieur Sène se sent en phase avec nos nouveaux dirigeants au point qu’il les défend même contre ces panafricanismes bornés qui peinent à comprendre la finesse de la diplomatie sénégalaise.
Pourtant, quand il faut être critique envers le tandem Diomaye-Sonko, il n’y va pas de main morte. N’est-ce pas cela la franche camaraderie ?
Suivez ce qu’il a publié le 28 Septembre dernier sur sa page Facebook à l’encontre du documentaire qui présentait le projet Sénégal 2025 : « C’est avec une immense tristesse que je vois un sujet en or traité avec autant de légèreté, sans concision, sans regard artistique, sans fondamentaux essentiels, sans préparation et dans la totale précipitation. Je vois tout de suite que le montage est fini à la seconde et projeté sans vérification, sans feedback et sans travail de postproduction abouti. Cela fait mal quand on pense que ce sujet d’une importance capitale est vendangé alors que l’expertise sénégalaise est une des meilleurs du continent. Pour un sujet pareil, il fallait faire un appel d’offre et recueillir les meilleures propositions.
En résume, voilà un film qui aurait pu faire le tour du monde et vanter les mérites du projet, se retrouver comme un buzz d’un instant vite oublié. Il ne faut pas donner une Rolls Royce à un charretier. »
De même, il n’a pas été tendre avec les organisateurs de la biennale de cette année. « Depuis quelques jours on m’appelle de partout dans le monde à propos de la biennale de Dakar. Partie comme ça, il vaut mieux ou la repousser ou l’annuler pour une redéfinition de contenu et une nouvelle orientation. Quand on me file une patate chaude, je la pose là en attendant qu’elle refroidisse. Mieux vaut un report qu’un événement bâclé.
À bon entendeur… »
Qu’à cela ne tienne, il croit audit projet PASTEF dont il envisage un accompagnement par un renouveau culturel bien appliqué. Il nous dit comme dans une profession de foi : « Mon engagement est de continuer à soutenir la culture car elle façonne nos identités et porte notre ambition de transformation nationale. » Plus loin, il avertit, après avoir formulé des souhaits de bonne année à la nation sénégalaise pour 2024 : Je le cite :
« Une vive clameur monte au loin
Une folle envie d’étoffer la dignité
Un besoin de changer de paradigmes »
Oui ! Monsieur Sène, au vu de ce qui se passe pour le moment en matière de politique culturelle, le projet Sénégal 2025 gagnerait à revoir sa copie, pour un véritable renouveau car ‘’la clameur qui monte au loin’’ ne parle pas qu’économie et agriculture mais aussi CULTURE ! CULTURE ! CULTURE !
Mbegaan Koddu